Bretagne et Japon, les alliés de la gastronomie


Région d’algues et de poissons, il n’en fallait pas plus pour que la Bretagne devienne un terrain de prédilection pour la cuisine japonaise. De Brest à Saint Malo, des chefs japonais et français célèbrent la rencontre de deux gastronomies que tout semble opposer.

Xavier Pensec, l’expert en sushis d’Hinoki, à BrestXavier Pensec, l’expert en sushis d’Hinoki, à Brest (Florence Joubert pour Les Echos Week-end)

Par Ludovic Bischoff (Les Echos Week-end)

Terres bordées d’eau salée, fouettées par les vents. Peuples de pécheurs, de navigateurs. Territoires de bout du monde, insulaires d’esprit et de caractère. On pourrait égrainer les similitudes entre la Bretagne et le Japon, entre les Bretons et les Japonais, sans jamais en voir la fin. Même quand on passe à table, on constate que, là aussi, les ponts entre ces deux cultures sont plus solides qu’ailleurs. Est-ce parce que l’on pêche les plus beaux poissons et fruits de mer, que l’on exploite les algues et le sarrasin, ici comme là-bas, que nombre de chefs s’intéressent à la cuisine japonaise en Bretagne ?

Peut-être. Et s’il y a un duo qui illustre à merveille la rencontre du Japon et de la Bretagne, c’est celui formé par Bertrand Larcher et le japonais Raphaël Fumio Kudaka.Le premier est le petit breton de Fougères, qui fait avaler des galettes aux Japonais depuis 25 ans. Le créateur des Breizh Café a ouvert sept de ses crêperies au pays de son épouse Yuko, où il n’a de cesse de convertir ses compatriotes au cidre et aux galettes de sarrasin garnies. Le second est l’âme de la table gastronomique créée au-dessus du Breizh Café du port de Cancale. Raphaël Fumio Kudaka a été formé dans les plus belles adresses gastronomiques françaises (Michel Guérard, Gérald Passedat, Marc Veyrat…). Lorsque Bertrand Larcher lui demande d’inventer une cuisine aux accents nippons qui plairait aux papilles bretonnes, il relève le défi avec la fierté d’un japonais qui ne veut pas décevoir.Raphaël Fumio Kudaka, le chef de La Table Breizh Café, à Cancale.

Rapahaël-Fumio Kudaka Chef du Brezh Café 2017 @Franck Hamel

Celui qui est aujourd’hui couronné d’une étoile Michelin pour ses plats qui fusionnent si bien les deux gastronomies sort des assiettes gourmandes, finement ponctuées d’ingrédients de son pays d’origine. Le pigeon rencontre ainsi l’ail noir, le canard de Challans se frotte au tofu et le veau du Limousin s’accompagne de feuilles de shiso. Le tout est arrosé par une dizaine de sakés qui jouent du coude avec les vins français. Sa cuisine entraîne ceux qui se glissent sur le tatami de son restaurant dans un délicat voyage vers l’est, sans trop les secouer ou les dépayser…


Le samouraï des sushis

Tout l’opposé de la cuisine radicale de Xavier Pensec. Lui est français. Breton de coeur et de caractère. Mais il ne jure que par la cuisine japonaise. Son art s’exprime dans la confection des sushis qu’il est parti apprendre au Japon. Il y rencontre Mika, son épouse qui officie avec lui dans la tanière zen qu’il s’est construit dans une rue sans trop d’âme de Brest. Xavier Pensec serait à Paris, Londres ou Singapour, sa renommée serait planétaire. Mais il a souhaité être au plus près des pécheurs bretons qui lui livrent des poissons tués selon la méthode de l’ikejime, qui permet une meilleure conservation de la chaire et une maturation du poisson.« Il y a 13 ans, lorsque j’ai ouvert Hinoki, je ne pouvais pas trouver le poisson de la qualité que je désirais en étant éloigné de la mer. Depuis, les choses ont évolué. Mais je ne me vois pas cuisiner des sushis dans les règles de l’art loin de l’océan », affirme celui qui a eu la chance d’approcher le dieu vivant du sushi au Japon, Jiro Ono, premier maitre sushi a avoir décroché trois étoiles Michelin dans son restaurant de Tokyo. Un privilège rarissime pour un Occidental. Il en a ramené l’esprit de ce qui est considéré là-bas comme un art.Mika et Xavier Pensec dans les environs de Brest, en décembre 2021.

portrait de Xavier et Mika Pensec dans les envoirons de Brest, décembre 2021 Décembre 2021 @FlorenceJoubert (Les Echos Week-end)


Oubliez tout ce que vous connaissez du sushi. Chez Xavier Pensec, on est invité à avaler la bouchée concoctée devant vous dans la seconde pour en apprécier toute la subtilité. « Le poisson est important mais le riz l’est tout autant. Chaque maitre sushi concocte son propre vinaigre avec lequel il assaisonne un riz qui doit être à température du palais, ni chaud, ni froid. Une température que seule la culture japonaise sait définir… », confie dans un sourire celui qui a cru devoir remiser ses lames forgées par les plus fins artisans japonais après un accident qui lui a tranché le tendon de la main droite !Des mois de fermeture, de rééducation et de doutes après, tel un samouraï blessé mais invaincu, Xavier Pensec a décidé de rouvrir son « bar à sushi » brestois. Dans une version encore plus épurée, encore plus raffinée, réservée à une poignée d’amateurs prêt à traverser l’Europe pour s’attabler à son comptoir qui ne comptera plus que six couverts à sa réouverture mi-janvier 2022. Il faudra débourser 125 euros, quelques soirs par semaine seulement, pour avoir le privilège de goûter les bouchées raffinées et d’apparence si simple, du plus grand maitre sushi français…

Le Japon dans la peau

Entre ces deux extrêmes, on trouve en Bretagne tout l’arc-en-ciel des cuisiniers déclinant leur passion de la gastronomie japonaise. Certains ne se sont jamais remis de leur découverte de l’Asie comme Julien Lemarié à Rennes . Envoyé à Tokyo par Gordon Ramsay, le jeune homme originaire de la Mayenne prend alors « la claque de sa vie » en découvrant les saveurs fines de la cuisine japonaise.Il en rapportera son amour du dashi, ce bouillon qui est à la cuisine japonaise ce que le beurre et la crème sont à la gastronomie française : une base qui ne se discute pas ! Après avoir bourlingué, il ouvre IMA en 2017. Un restaurant contemporain où les influences japonaises sont partout. Mais le boeuf wagyu est livré par un éleveur breton, le tofu vient du Mans, le miso de Tours…Julien Lemarié, le chef d’IMA, à Rennes, et un de ses plats signature: sarrazin en texture, lait et citron jaunes, charbon.
Julien Lemarié, le chef d’IMA, à Rennes, et un de ses plats signature: sarrazin en texture, lait et citron jaunes, charbon.

Julien Lemarié Ima Rennes Olivier MARIE/goutsdouest.fr/IMA ; Franck Hamel/IMA

« Ma cuisine est française mais les techniques comme certains ingrédients sont typiquement japonais », reconnaît cet ambassadeur de la cuisine fusion franco nippone récompensé par une étoile Michelin. Son amour du Japon, Julien Lemarié l’exprime avec plus de liberté encore dans la nouvelle adresse qu’il vient de créer avec sa femme Atsuko, rencontrée à Tokyo. Baptisé Imayoko et collé à son restaurant, voilà un bistro dans l’esprit des izakaya japonais où l’on se rassasie de plats très « comfort food ». Le midi, on y sert des donburi, soit un grand bol de riz recouvert de viande, de poisson et de légumes. Le soir, place aux petits plats de partage (chirashi, onigiri, somen…). Avec Ima et Imayoko, Julien et Atsuko matérialisent comme personne leur amour du Japon et de la Bretagne.

Un Japon fantasmé
Pour d’autres cuisiniers, le « pays du soleil levant » n’est qu’un fantasme lointain. C’est le cas de Clément Raby, le jeune chef de La tête en l’air à Vannes. Son restaurant au menu à l’aveugle est déjà l’un des plus courus de la région pour l’audace et la créativité qu’il y déploie. Mais c’est vers l’Asie qu’il se tourne aujourd’hui en ouvrant le premier comptoir à ramen du Morbihan. Ryoko a tout de ces bars à nouilles dont les Japonais raffolent. Mais, ici, les produits sont locaux.

Le katsuobushi, des flocons de bonite séchés, est produit à Concarneau. Le chashu, ce cochon roulé et coupé en tranche, a été élevé au lin pas très loin. Et, même si la déco et les bols remplis de saveurs exotiques vous propulsent au coeur des quartiers tokyoïtes de Shibuya ou Harajuku, Clément Raby avoue sans peine n’avoir jamais mis les pieds au Japon !Un point commun avec Hervé Bourdon, l’iconoclaste et talentueux chef du Petit hôtel du Grand Large sur la presqu’île de Quiberon. Son corps est recouvert de tatouages japonais façon yakusa. Sa tête est emplie de philosophie orientale. Et ses plats cuisinés au teppanyaki (une plaque chauffante typiquement nippone) sont parsemés de légumes et d’herbes exotiques qu’il fait pousser dans ses quatre jardins bios. Pour autant, Hervé, comme sa femme Catherine qui officie à la cave (100 % vins naturels) et en salle, n’a jamais posé le pied sur la terre d’Hokkaido ou d’Honshu.

Hervé Bourdon (plus d’info en couHervé Bourdon dans ses cuisines du Petit Hôtel du Grand Large, à Saint-Pierre Quiberon


Hervé Bourdon dans ses cuisines du Petit Hôtel du Grand Large, à Saint-Pierre Quiberon, et des makis de sa création.Anne-Claire Héraud« C’est un Japon fantasmé que j’ai en moi et qui m’inspire. J’irais sans doute un jour. Même si j’ai un peu peur de me confronter à un rêve », confie cet ancien « pubar » reconverti en chef et qui propose l’une des plus belles et authentiques tables de Bretagne. Récompensée d’une étoile Michelin, sa cuisine est inventive et s’amoncelle en plats que l’on dépose sur la table sans ordre, ni convenance. Hervé Bourdon, avec la force des autodidactes qui ont tracé leur route en affrontant de grosses mers, a ritualisé et sacralisé sa cuisine qui bannit déjà les viandes. Les poissons sont, eux, cuisinés avec un respect tout japonais pour la beauté des belles choses que l’on ingère.« En passant des heures en cuisine, j’ai développé une sorte d’automatisme que je compense avec la recherche du geste parfait. Par exemple, je sais qu’il me faut 16 coups de couteau pour lever les filets d’une dorade, 22 pour un bar. La beauté de la coupe est un hommage au poisson que l’on sacrifie pour se nourrir », philosophe ce sage qui n’envisage plus sa vie sans la vue sur cette mer qu’il traversera un jour, peut-être, pour se confronter à ses rêves nippons…Ces Japonais fous de Bretagne.

Enfin, comment quitter la Bretagne sans rencontrer ces Japonais qui ont choisi d’y poser leurs casseroles ? A Crac’h, dans une maison qui n’a rien d’exotique, la famille Nagasue a ouvert une auberge « comme au pays ». Le père, Toshio, a longtemps cuisiné au coeur de Paris mais son coeur à lui battait pour cette Bretagne qu’il aime tant. Il a entraîné ses trois enfants, Aki, Yuki et Takeo dans l’aventure Miyoshi, cette table qui propose une cuisine « de grand-mère japonaise » à base de légumes frits, d’huîtres cuisinées et de viandes grillées qui attirent autant les locaux que les Japonais de passage. Ces derniers ont tous en poche cette adresse où ils ont l’assurance de retrouver les saveurs qui leur manquent. Seule concession, sur une carte 100 % japonaise, la grillade de boeuf couverte d’une sauce soja et… beurre ! Les Bretons apprécient le geste et s’en lèchent les babines…11 livres de cuisine à s’offrir ou à offrirLivres de pâtissiers : notre sélection pour les becs sucrésA Saint-Malo, l’incontournable Bertrand Larcher vient d’ouvrir une autre adresse japonaise, tenue par Yasushi Hayashi. Otonali satisfait les papilles de ceux qui trouvent la cuisine de Raphaël Fumio Kudaka à Cancale un peu trop « bretonisée » ! Ces derniers ont une dernière option, toujours dans « intra muros ». Direction Tanpopo qui régale d’une cuisine traditionnelle, dite kaiseki, les nostalgiques du Japon. Ici aussi c’est l’histoire d’un couple. Celle de François Evangelisti, passionné de butô, cette danse japonaise qui s’inscrit en rupture avec les arts vivants traditionnels du nô et du kabuki. Et de Naoko Kuriyama, cuisinière née qui l’a suivi de Tokyo à Saint-Malo. Depuis 2008, le couple officie pour servir une quinzaine de couverts par jour. Pas un de plus. Et un repas millimétré qui s’étire sur plus de 3 heures. Autant dire que viennent chez Tanpopo ceux qui veulent s’offrir un long voyage zen, éloigné de l’agitation des rues de la cité corsaire. Et lorsque l’on demande à Naoko pourquoi la Bretagne semble si bien convenir aux Japonais, elle cherche ses mots et lâche, avec une retenue toute nipponne : « les Bretons comme les Japonais sont travailleurs et pas très ouverts au premier abord. Alors, on se comprend bien… » Sayonara. Kenavo !

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